Thom Wachter : l’homme qui laisse son empreinte

Nous laissons la voiture sur les crêtes de l’Eisenberg,  franchissons un petit pont de bois, et nous dirigeons vers une spectaculaire terrasse panoramique située au beau milieu du vignoble. C’est là que nous attend Thom Wachter, l’étoile montante de la viticulture, avec quelques plats typiques de la région du Burgenland. À peine avons-nous eu le temps de nous serrer la main que le ciel déverse sur nous des trombes d’eau. Dans la panique, nous déployons nos parapluies et nous mettons verres et petits fours à l’abri. C’est tout juste si nous avons le temps de distinguer le panorama grandiose qui s’étend sur les imposants contreforts de l’Eisenberg, couverts de vignes à perte de vue, jusque dans la charmante vallée du Pinkatal en contre-bas, en direction de la Hongrie. Comme la pluie nous fouette le visage, nous devons battre en retraite, retourner à la route et remonter dans nos voitures.

Sur les pas du grand-père

Peu de temps après, nous nous retrouvons dans la cave de Thom Wachter, encore un peu secoués. Nous avons enfin l’opportunité de voir notre hôte d’un peu plus près. « Allez-y, attaquez », nous lance-t-il, affable, tout en ouvrant la première bouteille, un Welschriesling piquant et friand, idéal pour stimuler l’appétit. Du coup, la déception d’avoir raté le panorama est vite oubliée. Le Welschriesling est le principal cépage blanc du Burgenland méridional. « En quelque sorte notre vin de table », commente Thom Wachter avant de poursuivre : « Mes vins de l’Eisenberg laissent des traces. » Nous observons alors les pieds de notre hôte. Il porte les fameuses chaussures de travail rustiques qui ornent les étiquettes de ses vins et illustrent son allégorie. Il se met à rire : « En fait, je les porte tout le temps. Mon grand-père avait les mêmes : elles sont confortables et pratiques. De plus, elles symbolisent parfaitement la relation que j’ai avec ce terroir. Car ce terroir unique, c’est bien lui qui marque nos vins de son empreinte et les rend incomparables », insiste-t-il. Les souliers sont à l’image du vigneron : un homme relié à la terre, profondément enraciné dans sa région natale où il vit pleinement sa passion. « Tout gosse, je voulais déjà devenir vigneron », se souvient ce fils de viticulteur. Ce choix professionnel coïncidait mal avec une tradition courante dans le coin, qui veut que le fils aîné reprenne sans partage l’exploitation familiale. Or, Thom n’était « que » le cadet. Il a néanmoins fréquenté la Haute école spécialisée et l’Académie du vin d’Eisenstadt puis acquis de l’expérience dans une exploitation viticole allemande, avant d’entreprendre un voyage dans toutes les régions productrices de vin du monde. De retour, il devint vendeur dans une vinothèque à Vienne, avant de diriger, avec sa sœur, le restaurant étoilé Ratschen, propriété de la famille à Deutsch Schützen. Il travailla également dans le très renommé établissement vinicole de la famille Wachter-Wiesler, qui est aujourd’hui dirigé par son frère Christoph. Mais ce qu’il désirait ardemment, c’était diriger son propre domaine et créer son propre vin, un grand vin.

Chaussures de travail de Thom Wachter
Les fameuses chaussures de travail rustiques qui ornent les étiquettes de ses vins

 

Le début d’une nouvelle ère

Ce rêve est aujourd’hui devenu réalité. Dès que l’occasion s’est présentée de louer un domaine, Thom Wachter s’est rué dessus. C’est ainsi qu’il exploite actuellement deux hectares de vignes et qu’il achète la récolte de deux autres hectares, notamment celle d’un vigneron âgé de 70 ans qui possède sur l’Eisenberg une remarquable parcelle nommée Szapary. « Il travaille de manière fantastique, à tel point que je lui achète tous ses raisins, jusqu’à la dernière grappe ». L’ambition de Thom Wachter est d’exploiter sept hectares.

Dans la région de l’Eisenberg, qui dit vin dit Blaufränkisch. Ce cépage exigeant, de maturation tardive, était jadis appelé « Bourgogne » par les autochtones. Il a pris son essor après l’épidémie catastrophique de phylloxera et a trouvé sur les terroirs de la partie sud du Burgenland les conditions parfaites pour prospérer. Chez Thom Wachter aussi, le Blaufränkisch se taille la part du lion. Une partie de ses raisins provient du pays voisin. « Il faut savoir qu’un tiers du vignoble d’Eisenberg se trouve aujourd’hui en Hongrie ; jadis, toute la région faisait partie de l’Empire austro-hongrois », explique-t-il. À cette époque, le vin de la région garnissait les tables de toute la noblesse de Vienne et de Budapest. Le Burgenland a été rattaché à l’Autriche en 1921, après la première guerre mondiale. Du coup, de nombreux vignerons ont perdu leurs débouchés et abandonné la viticulture. « La seule ville de notre région, c’est Szombathely. Elle se trouve de l’autre côté de la frontière ». Thom Wachter était encore tout gosse, mais il se souvient bien de l’époque du rideau de fer. « En ce temps-là, le monde finissait ici… »

Thom Wachter
Thom Wachter

Thom a commencé de vinifier ses propres vins en 2013 et opère depuis 2015 dans sa propre cave. « En 2015, une nouvelle ère a commencé pour moi, en termes de qualité », poursuit-il. « Je me suis dit que c’était maintenant ou jamais, ce qui m’a élevé à un autre niveau. » Au début, comme d’autres jeunes vignerons ambitieux de la région, il avait lui aussi tenté d’élaborer des assemblages plaisants, à la mode. « Mais j’ai rapidement arrêté avec ça. Ce qui m’intéresse, c’est de faire des vins de terroir au plus haut niveau. Je veux mettre dans la bouteille exactement ce que notre terroir produit, ça et rien d’autre ! »

Appellation Eisenberg DAC : le royaume par excellence du Blaufränkisch

La pointe sud-est de l’Autriche, le Burgenland méridional, est une région idyllique, préservée, recouverte de collines et de vastes forêts, avec ici et là de paisibles villages. Entourée à l’ouest par la Styrie, à l’est par la basse plaine hongroise et reliée au reste du Burgenland par une étroite bande de terre, cette région limitrophe éloignée de tout a conservé l’essentiel de son charme. Les coteaux couverts de vignes sont constellés de pittoresques cabanes de vignerons, qui servaient jadis de caves à vin et contribuent aujourd’hui à l’image d’Épinal que les touristes apprécient. Avec ses 500 hectares de vignes, le Burgenland méridional est la plus petite région viticole d’Autriche ; elle sait faire parler d’elle grâce à ses vins rouges de caractère issus du cépage Blaufränkisch. Au cœur même de la région s’élève, tel un géant endormi, le célèbre mont Eisenberg, la montagne de fer, qui culmine à 415 mètres d’altitude et a donné son nom à la région. Il n’usurpe pas son nom, car les Celtes en extrayaient déjà du minerai de fer au VIIe siècle avant J.-C. Bien avant l’arrivée des Romains, les Celtes pratiquaient d’ailleurs la viticulture dans toute la contrée. Aujourd’hui encore ces sols riches en fer confèrent aux vins leur tension et leur dynamisme, une acidité piquante, une fraîcheur très minérale, un fruit épicé et des tanins à la fois serrés et élégants.

100 % caractère, 100 % terroir, 100 % Blaufränkisch

Les Blaufränkisch de Thom Wachter illustrent cette philosophie de manière impressionnante. Le Szapary 2016, par exemple, est un vin profond, droit, tout en fraîcheur et en minéralité, d’une texture à la fois gourmande et élégante, avec un immense potentiel de garde. Ou le Saybritz du même millésime, qui séduit par ses arômes de violette, sa finesse et sa superbe élégance. Nous testons une foule d’échantillons tirés des tonneaux et quelques instants plus tard, nous voilà convertis en amateurs inconditionnels du Blaufränkisch. « Nos vins doivent d’abord s’apprivoiser un peu, car ils sont à la fois très tanniques et très fruités. Ils sont certes harmonieux, mais également exigeants : ils demandent qu’on s’occupe d’eux. Ce sont des vins intellectuels et rectilignes, qui possèdent un large éventail de saveurs », explique Thom Wachter. On les dégustera de préférence après cinq à huit ans de garde en bouteille. Limpidité, fraîcheur et fruit : tels sont les maîtres mots de notre hôte. C’est ce qui explique pourquoi il n’utilise pas de barrique neuve. Ses vins classiques sont élevés dans de grands foudres. Quant aux raisins de ses vins de réserve, ils fermentent durant trois à quatre semaines dans des cuves de bois ouvertes. « Parfois je laisse les pédoncules, parfois non ; c’est comme l’assaisonnement en cuisine : une pincée de ceci, un soupçon de cela, au gré de l’inspiration. » Puis les vins vieillissent entre 18 et 24 mois en doubles barriques usagées. Thom Wachter n’applique pas de stratégie bien définie, ni dans la vigne, ni
en cave.

« Le travail de vigneron ne s’apprend pas dans les manuels : il faut sentir les choses, bien observer et apprendre sans cesse, comme le faisaient déjà mes grands-parents. Nous devons réapprendre à tenir compte de la nature. Ainsi, durant l’été caniculaire de 2017, j’ai commencé l’effeuillage très tard, car les feuilles offrent aux grappes de raisin une bonne protection contre le soleil. Cela m’a permis de conserver davantage d’acidité et de meilleurs tanins. En éclaircissant mes vignes au bon moment, j’obtiens un rendement de 300 grammes par m2 et la maturité physiologique idéale », déclare-t-il.

« Mon grand-père me disait toujours : Mon petit gars, le vin doit être gouleyant, mais étoffé ! » Un peu plus tard, au repas de midi (c’est sa belle-mère qui a préparé le repas et il y en avait pour un régiment), Thom nous ouvre un millésime 2015. « C’était une année plus opulente que 2016, où le piètre rendement à cause de la grêle a été compensé par une qualité exceptionnelle. Les vins étaient friands, épicés et magnifiquement tendus. » Notre homme est du genre à laisser faire ses vins le plus possible, il n’intervient qu’en cas de nécessité. Il en résulte des crus racés, de grande classe, à l’élégance toute bourguignonne, comme en témoigne la version 2015 du superbe Alter Garten (du nom de la plus ancienne vigne de l’Eisenberg, encépagée en 1936), un vin complexe, d’une profondeur phénoménale, à la fois délicat et puissant. « Oui, là j’ai le droit de me lancer quelques fleurs », plaisante-t-il, éclatant d’un rire enfantin et communicatif.

Une chose est sûre, Thom Wachter et ses vins laissent d’ores et déjà leurs empreintes. Et ils vont beaucoup faire parler d’eux !

Blaufränkisch

Le Blaufränkisch est l’un des nombreux enfants du Gouais Blanc, un vieux cépage autrefois répandu dans toute l’Europe. Son nom dérive probablement de la Franconie, région historique de l’Allemagne comprenant des portions de la Bavière, de la Thuringe et du Bade-Wurtemberg. Aujourd’hui très cultivé en Autriche, la distribution historique du Blaufränkisch comprend l’Allemagne (sous le nom Lemberger), la Hongrie (Kékfrankos) et la Croatie (Borgonja), si bien que son lieu de naissance se situerait au carrefour de ces régions. Le croisement dirigé Blaufränkisch × Sankt Laurent obtenu en 1922 à Klosterneuburg en Autriche a donné naissance au Zweigelt, aujourd’hui le cépage rouge le plus planté en Autriche. Présent sporadiquement en Suisse, le Blaufränkisch est un cépage tardif et sensible aux maladies fongiques qui donne des vins structurés aux couleurs intenses, avec une acidité soutenue.


— Dr José Vouillamoz

Les conseils de Thom Wachter

Restaurants
Restaurant Ratschen,
chez Wachter-Wiesler
Deutsch Schützen 254
7474 Deutsch Schützen
www.ratschen.at
www.wohnothek.at

Koi Kulinarik am Teich
Famille Dirnbeck
Teichwald 1
7501 Rotenturm an der Pinka
www.koi-kulinarik.at

Hôtel
Balance Resort Stegersbach
Panoramaweg 1
7551 Stegersbach
www.falkensteiner.com/de/hotel/stegersbach

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