Rheingau : Bischöfliches Weingut ou domaine viticole de l’évêché, à Rüdesheim
Après notre charmante soirée en compagnie de Verena Schöttle, placée sous le signe des saveurs, nous passons la nuit au Burg Schwarzenstein, un établissement renommé, situé dans un vieux et très beau parc et qui fait partie de l’association Relais-Château. Malheureusement, on nous a logés dans une lointaine dépendance de la bâtisse et nos chambres donnent sur une route très fréquentée, sur laquelle les poids lourds circulent dès l’aube. C’est pourquoi, si vous souhaitez loger au Burg Schwarzenstein, il est fortement recommandé d’exiger une chambre dans le bâtiment principal.
Les vignes de l’évêché sont à deux pas et le trajet ne dure que quelques minutes. Du coup, pour une fois, nous arrivons à l’heure. Nous voilà immédiatement plongés au plus profond de l’histoire, comme nous l’explique Silke Trick, la jeune et sympathique gérante du domaine de l’évêché, à Rüdesheim. Cette histoire remonte à la fondation de la paroisse originelle et se poursuit aujourd’hui par les vignes du domaine, l’un des plus anciens du Rheingau, peutêtre même de toute l’Allemagne. Les tout débuts se perdent certes dans la nuit des temps, mais la première mention écrite du domaine remonte au 11e siècle. Et on apprend qu’au 12e siècle, un certain Engelhard Brömser, un aristocrate de Rüdesheim, s’était rendu en croisade en Terre Sainte, où il fut fait prisonnier par les Sarrasins. Dans sa geôle, il promit que s’il retrouvait la liberté, il construirait une église à Rüdesheim et qu’il planterait des vignes pour la paroisse. Il survécut à sa captivité et tint sa promesse. On suppose qu’il ne fit qu’agrandir des vignes qui existaient déjà sur les terres paroissiales. Par la suite, le domaine viticole de la paroisse de Rüdesheim survécut aux aléas de l’histoire et traversa les siècles jusqu’à notre époque. En 1984, il fut repris par l’évêché de Limburg sous la forme d’une fondation, ce qui explique pourquoi les armoiries de l’évêché flottent sur le domaine. Au fil des années, d’autres petites vignes appartenant à la paroisse, ainsi que des vignes achetées en sus, furent incorporées au domaine, si bien que douze ans plus tard, en 1996, le domaine changea de nom et s’appela désormais «Bischöfliche Weingut Rüdesheim», à savoir Domaine viticole de l’Evêché, Rüdesheim. Son siège se trouve dans un bâtiment de toute première importance pour l’histoire de l’église, puisqu’on y trouve les derniers vestiges conservés d’une aile de l’antique monastère des Savants universels et de sainte Hildegard von Bingen (1098 à 1179). Le cloître a été reconstruit en 1683 sur les fondations de l’ancien. On y trouve aujourd’hui la cave voûtée d’origine, dans laquelle sont installés les fûts de chêne traditionnels et les rutilantes cuves en inox, mélange fort réussi d’ancienneté et de modernité, probablement l’une des plus belles caves du genre en Allemagne.

Le chef d’exploitation de ce domaine de neuf hectares (80 % de Riesling, 20 % de Pinot Noir) s’appelle Peter Perabo. Comme la plupart des Perabo, il est originaire de Lorch. Fils d’un viticulteur à temps partiel, Peter a travaillé toute sa vie dans le Rheingau. Il n’est jamais allé en Bourgogne, ni outremer. Il est arrivé à Rüît les vignes jusque dans leurs moindres détails. Peter Perabo est un vigneron et un maître de chai aux idées bien arrêtées. Il a les vins tapageurs en horreur, mais si ses opinions sont très tranchées, le ton de sa voix, en revanche, est d’une extrême douceur. Ce n’est pas un homme de marketing, mais un homme de terrain, qui fonctionne à l’ancienne, avec bienveillance. Il a également un sens de l’humour assez décalé. Dirk Würtz, l’œnologue et blogueur dont nous avons déjà parlé dans le portrait du domaine Benzinger, écrit sur son site www.wuertz-wein.de : « Le savoir-faire de Perabo dans le domaine du Pinot et du Riesling est immense. Je serais même tenté de dire que, de tous les grands vinificateurs du pays, Perabo est le plus méconnu. Mais il est effectivement remarquable »

L’occasion est donc belle de vérifier ces propos lors de la dégustation. Dans la salle de réception de la demeure épiscopale nous testons quelques crus dans des verres Zalto dignes d’éloge. Ces verres soulignent en effet la limpidité, la transparence et la pureté des vins. Jamais le qualificatif « clair comme de l’eau de roche » que l’on attribue volontiers au Riesling, n’a mieux mérité sa raison d’être. Ceux de Perabo sont issus de fermentation spontanée, mais sans fermentation malolactique. Les meilleurs Prädikat, c’est-à-dire les crus issus des meilleures parcelles, sont élevés en muids et en demi-muids. « A Assmannshausen, la tradition s’est cristallisée autour du Pinot Noir. Si je suis venu à Rüdesheim, c’est que j’avais la nostalgie du Riesling », confie Peter Perabo, qui ne se lasse jamais des vignes du Rheingau, dont le registre est très varié. Les vins exceptionnels, ceux du Berg Rottland, du Berg Roseneck ou du Berg Schlossberg, sont très spécifiques de leur terroir; ils possèdent tous un profil étincelant, épicé, aux arômes herbeux, et d’une limpidité cristalline. « Les 80 % de notre production sont vinifiés en vins secs », précise Peter Perabo. Et quand cet homme dit sec, cela veut dire sec. « La plupart de mes collègues mettent leur Riesling sec en bouteille avec encore huit à dix grammes de sucres résiduels. Les miens en ont cinq, qui sont toujours largement compensés par l’acidité », poursuit-il.
Nous passons aux rouges. Et là, Peter Perabo confirme sa réputation de magicien du Pinot Noir. Impossible pour lui de renier son passé. La vinification s’effectue partiellement en cuves ouvertes, avec des grappes entières, rafles comprises. Le bâtonnage s’effectue à la main. Les vins sont élevés en grands fûts de chêne, ou en barriques de 300 litres. Ce ne sont pas des vins tapageurs, qui font la une de la presse spécialisée, mais des vins gourmands et élégants, sur la fraîcheur. Il est d’ailleurs difficile de les comparer aux crus de Bourgogne. Ce n’est pas que les Pinots Noirs d’Assmannshausen et de Rüdesheim soient moins bons que leurs cousins français, c’est tout simplement qu’ils portent l’empreinte du Rheingau et sont spécifiques de leur terroir.
Nous mettons un terme à notre balade dans le Rheingau par un dîner dans un endroit traditionnel, en compagnie de Peter Perabo et de Silke Trick. Le « Krug » à Hattenheim est une maison à colombage fidèle à la bâtisse originelle de 1720. Elle abrite un restaurant qui se consacre exclusivement à la cuisine du Rheingau et à ses vins. Nous optons pour du sanglier, accompagné d’un vieux Pinot Noir du domaine de l’Evêché. Puis nous prenons congé et nous nous mettons en route pour Frankfurt où, en fin d’après-midi, nous reprenons l’avion pour Zurich.
Recommandations de Bischöfliches Weingut
Hôtels et restaurants
Rüdesheimer Schloss, Rüdesheim
Alte Bauernschänke, Assmannshausen
www.ruedesheimer-schloss.com
Jean, Eltville
Kronenschlösschen, Hattenheim
www.hotel-frankenbach.de