Le Pinot Gris
Cette mutation de couleur du Pinot Noir, qui devrait d’ailleurs s’appeler « Pinot Rose » car ses baies ne sont pas vraiment grises, a été observée plusieurs fois au cours des derniers siècles en Bourgogne, en Suisse ou encore en Allemagne.
Le Pinot Gris est très adapté à l’élaboration de vins doux. C’est pourquoi on l’appelle souvent « Malvoisie » dans plusieurs régions (Savoie et Val de Loire en France, Vallée d’Aoste en Italie, Valais en Suisse) afin de bénéficier de la notoriété de ce vin de dessert obtenu par des cépages qui n’ont rien à voir avec le Pinot Gris. Faisant preuve de la même usurpation de notoriété, les Alsaciens ont longtemps appelé cette variante « Tokay » ou « Tokay Pinot Gris », jusqu’à ce que les Hongrois leur en interdisent définitivement l’usage dès 2007.
France
Le Pinot Gris est un cépage très important en Alsace, où il couvre 2355 hectares sur les 15’527 hectares de vignes de la région. Chez DIVO depuis 2020, le domaine Marc Tempé à Zellenberg possède un peu de Pinot Gris. Lors de ma visite au domaine en mars 2022, Marc et Anne Marie m’ont fait déguster un assemblage de Gewürztraminer (70 %) et de Pinot Gris (30 %) issu du Haut-Lieu « Rodelsberg ». Je suis tombé en admiration devant cet assemblage magistral ! Complantés (c’est-à-dire plantés dans la même vigne), les deux cépages donnent un vin avec un nez complexe et fin, sur des arômes de jus de citron vert, de mandarine, de rose fraîche et de kumquat, de fumée et de pierres concassées, avec une touche de vieux meuble ciré. La bouche est riche et pleine, enveloppante et pourtant aérienne avec une acidité impressionnante pour ces cépages, très salivante. On retrouve la rose fraîche, avec de beaux amers d’agrumes dans une finale saline et citronnée très persistante. Un tout grand blanc d’Alsace, produit en quantités limitées !
Suisse
En Suisse, le Pinot Gris est encore très présent en Valais où on lui a depuis longtemps donné le nom fallacieux de Malvoisie. Il est également bien présent au canton de Vaud, par exemple au Domaine La Colombe où il est complanté avec du Chasselas, du Doral et du Riesling, vendangés et vinifiés dans des œufs en béton pour donner la cuvée Curzilles, initialement créée pour DIVO.
Le Pinot Gris est également répandu en Suisse allemande, où on l’appelle souvent Grauburgunder. Ce n’est pas le cas de la famille von Tscharner dans les Grisons qui produit un Jeninser Pinot Gris époustouflant. Loin de certaines caricatures un peu pesantes, celui-ci est toujours aérien, droit et ciselé, pur comme du cristal. Il possède les arômes typiques de noisette, additionnés de pêche de vigne. La structure est ample et parfaitement équilibrée par une belle acidité, et la finale citronnée est interminable. Le Pinot Gris entre également dans leur Schiller, un assemblage historique de la région de Coire aux Grisons issu de la complantation de plusieurs cépages blancs et rouges. Avec un léger gaz carbonique, ce vin traditionnel offre un nez de fraise et de pêche blanche, une bouche aérienne et vivifiante, et une finale finement acidulée.
Italie
Introduit en Italie au début du XIXe siècle en Vallée d’Aoste et au Piémont, le Pinot Gris est désormais célèbre en Frioul-Vénétie julienne sous son nom italien de Pinot Grigio, donnant malheureusement trop souvent des vins de supermarché inodores et insipides, issus de rendements excessifs. Il existe bien entendu des exceptions, que vous trouverez prochainement chez DIVO.
Allemagne
Nommé Grauburgunder ou Grauer Burgunder, et parfois Ruländer d’après Johann Seger Ruland qui a découvert cette mutation dans un jardin près de Spire en Rhénanie-Palatinat, le Pinot Gris couvre plus de 4440 hectares en Allemagne où il donne des vins secs ou légèrement doux. Chez Weingut Max Müller I en Franconie, il est assemblé au Pinot Blanc (Weissburgunder) dans la cuvée GrauWeiss qui offre une belle complexité aromatique tout en fraîcheur.
Plaidoyer pour une Dôle authentique !
Tout d’abord, il faut préciser que le nom Dôle est… vaudois ! En effet, ce nom était initialement donné au Gamay qui a vraisemblablement été introduit au XIXe siècle dans le canton de Vaud depuis la ville de Dôle dans le Jura français. Quand le Pinot Noir est arrivé, les Vaudois ont commencé à l’appeler Petite Dôle, tandis que le Gamay se démarquait comme Grosse Dôle.
Vers 1850, le Gamay et le Pinot Noir ont été introduits en Valais où ils ont conservé leurs surnoms respectifs de Grosse Dôle et Petite Dôle. En toute logique, l’assemblage des deux cépages a donné un vin qu’on appelait Dôle. En 1941, un arrêté du Conseil d’État valaisan censé limiter les abus a défini la Dôle comme suit : « vin de bonne qualité provenant du plant Pinot Noir (Petite Dôle) ou d’un mélange de Pinot Noir et de Gamay avec prédominance de Pinot Noir, pour autant que ces cépages sont cultivés sur le territoire valaisan ». Plus tard, on a précisé que la Dôle devait être un assemblage de Pinot/Gamay pour au moins 85 % (avec majorité de Pinot Noir), avec la possibilité de mettre jusqu’à 15 % de tout autre cépage rouge autorisé en AOC.

Selon plusieurs études de marché, la Dôle est encore aujourd’hui le vin rouge suisse le plus connu du public. Cela n’a pas empêché les ventes d’être en perte de vitesse constante depuis les années 1990. La faute aux mauvaises Dôles qui ont trop souvent inondé le marché ! En 2021, afin de « sauver » la Dôle, le Conseil d’État valaisan a décidé de « moderniser » sa recette en définissant la nouvelle Dôle comme un assemblage composé au minimum de 51 % Pinot/Gamay (avec une majorité de Pinot), auquel on peut ajouter jusqu’à 49 % d’autres cépages en AOC.
Au risque d’être taxé de puriste, je me suis souvent élevé publiquement contre cette décision qui signera selon moi l’arrêt de mort de la Dôle. À mon sens, la seule VRAIE Dôle devrait être un assemblage de Pinot et de Gamay uniquement, sans ajout d’autres cépages, caractérisé par sa couleur framboise, ses arômes de fraise et sa structure fine et croquante. Un vin de soif, traditionnel et convivial, avec une grande buvabilité. Tous les autres types d’assemblages devraient à mon avis porter des noms de fantaisie, sans usurper le nom « Dôle » qui fait partie de l’histoire viticole valaisanne.
Au lieu de galvauder un nom si emblématique du Valais, les producteurs auraient tout intérêt à retourner à une « recette » traditionnelle et authentique 100 % Pinot Noir + Gamay, sans y inclure des cépages dont on ne sait que faire et qui ne font que dénaturer ce vin typiquement valaisan. La Dôle « pure » pourrait ainsi regagner ses lettres de noblesse.