Domaine Les Hutins, ou comment mettre au monde de grands vins genevois
Emilienne Hutin est depuis longtemps une valeur sûre dans le paysage viticole genevois. Avec son père Jean, elle a beaucoup contribué à la révolution qualitative de son canton. Pourtant, elle n’avait pas choisi cette carrière au départ… « En fait, je voulais être sage-femme », nous confie-t-elle. Emilienne nous raconte comment elle s’est rendue à Londres après son baccalauréat pour apprendre l’anglais et faire du bénévolat auprès des personnes défavorisées d’un quartier pauvre. Là-bas, dans un pays étranger, elle a réalisé à quel point elle était liée à son village natal de Dardagny et à la viticulture.
De retour en Suisse, elle a effectué différents stages avant d’étudier à Changins. « Au début, je ne m’intéressais pas plus que ça au vin, mais le travail dans les vignes, dans la nature, me fascinait. » En 2008, son oncle Pierre, qui gérait le domaine familial de 19 hectares de vignes et de terres arables, part à la retraite. Emilienne reprend alors l’exploitation avec son père. Bien qu’autodidacte au niveau du vin, ce dernier, ingénieur de profession, ouvert d’esprit, charismatique et connu dans toute la Suisse romande comme acteur du Théâtre Populaire Romand, met tout de suite l’accent sur la limitation des rendements, la qualité et la diversification de l’encépagement.
Expériences frontalières
Genève est un canton frontalier, dont environ un dixième des 1391 hectares de vignes en AOC Genève se trouvent de l’autre côté de la frontière, en France. Un fait très peu connu. « Oui, nous possédons également un hectare de vignes sur la commune française de Challex. Ces vignes poussent juste à côté de nos vignobles de Dardagny et n’en sont séparées que par une borne. »

Le terroir, le climat, la culture, la vinification – tout est exactement pareil. Et pourtant, ces vignes ont donné lieu à des différends éprouvants. Les vigneronnes et vignerons genevois ont dû se battre pendant des années pour défendre le statut de ces raisins contre une bureaucratie absurde. « Pour le millésime 2009, nous n’étions même pas autorisés à déclarer les vins produits à partir de ces raisins comme des vins de pays, seulement comme des vins blancs ou rouges. Cela a été un désastre pour les vignerons car ils n’ont pas obtenu un prix équitable pour leur production sans appellation. » Désormais, la situation est réglée et ces vins ont également droit à l’AOC Genève.
L’année prochaine, le domaine franchira une autre étape : « En 2007, nous avons fait les premiers essais en culture biologique, uniquement pour nous. Aujourd’hui, nous sommes officiellement en conversion, et à partir du millésime 2022, tous nos vins seront certifiés Bio Suisse. »
Une période délicate
Il paraît difficile de croire que la très dynamique Emilienne est non seulement mère de trois enfants, mais aussi grand-mère. Son fils Guillaume Zumbach, 29 ans, prend peu à peu la relève de Jean dans les vignes, bien que celui-ci, « continue à chouchouter ses précieuses machines ». Les vigneronnes, comme les mères de famille, doivent toujours se montrer flexibles. D’autant plus avec la pandémie liée au coronavirus et aux mesures sanitaires qui en découlent. Ainsi, lors de notre visite en mai 2021, Emilienne transforme rapidement la pièce où se trouve la ligne d’embouteillage en une salle de dégustation « Nous ne sommes pas vraiment équipés pour les visites au domaine », déplore celle qui a perdu près de la moitié de sa clientèle en raison du coronavirus. « Les commandes des restaurateurs sont tombées à l’eau, comme celles de la très branchée Buvette des Bains, aux Pâquis, à qui nous livrions par fourgons... jusqu’à l’arrivée du Covid-19. » Heureusement, la clientèle privée leur est restée fidèle. Le domaine a même attiré de nouveaux clients, des citadins genevois, qui, grâce au virus, ont pris le temps de découvrir, au-delà de leur ville cosmopolite, l’idyllique arrière-pays et les vins qui s’y créent.
La gamme de cépages à Genève est étonnamment variée. Emilienne Hutin, elle aussi, produit à partir de 15 variétés un assortiment passionnant de crus mono-variétaux et d’assemblages ingénieux. L’un de ses vins les plus connus est le Bertholier Rouge, une cuvée de Gamaret, Cabernet Sauvignon et Merlot vieillie en barriques, avec une nette dominante de Gamaret à 70 %. Cette nouvelle variété issue du Gamay et du cépage blanc Reichensteiner est devenue depuis longtemps une spécialité genevoise. Et la famille Hutin n’y est pas étrangère : ils ont été les premiers dans le canton à vinifier le Gamaret, un cépage qui a l’avantage de résister aux moisissures, en plus d’être riche en couleur et en tannins. La cuvée mono-cépage qu’en fait Emilienne, vinifiée en cuve acier, impressionne par un beau nez de baies noires avec des notes d’épices et de graphite, et en bouche il plaît par des tannins agréablement rustiques, une acidité croquante et des saveurs de cerise noire.
Les Hutin ont également été parmi les premiers à planter du Sauvignon Blanc. Leur grand Sauvignon Coteaux de Dardagny 1er Cru Barrique fait d’ailleurs partie du cercle restreint de la Mémoire des Vins Suisses depuis de nombreuses années. Pas de doute : Emilienne contribue à mettre au monde des vins merveilleux. Finalement, elle est restée en accord avec son objectif professionnel initial…