Château Phélan Ségur, mini-verticale

Lorsqu’il était dans les mains expertes de famille Gardinier, le Château Phélan Ségur faisait déjà partie de l’élite des Saint-Estèphe, même s’il n’avait autrefois pas été inclus parmi les crus classés en 1855 (à savoir Cos d’Estournel, Montrose, Calon-Ségur, Lafon-Rochet et Cos Labory). Depuis la transmission des rênes en 2017 à Philippe Van de Vyvere, un armateur belge féru des vins de Bordeaux, j’ai l’impression que le domaine a fait encore un bond qualitatif supplémentaire.

Véronique Dausse, la brillante et dynamique directrice générale du Château Phélan Ségur, partage sa passion pour ce domaine historique avec un enthousiasme contagieux. Son maître de chais Fabrice Bacquey, tout aussi passionné, fait depuis 2020 des sélections de levures indigènes sur chaque parcelle de Phélan Ségur. Le but est d’identifier par le test ADN des lignées de levures uniques au domaine, de les multiplier et les utiliser parcelle par parcelle, afin de rester au plus proche du terroir.

Pour le millésime 2022, 50 % des raisins ont été fermentés par des levures parcellaires indigènes.

Sur invitation de Véronique Dausse, j’ai eu le privilège de déguster une petite verticale au château lors de ma visite le 22 avril 2023, en exclusivité pour DIVO. Outre le phénoménal 2022 (voir notes ci-dessus), nous avons dégusté les millésimes de 2014 à 2020 (le 2021 étant en phase de collage).

Mise en bouche

Frank Phélan 2022 [pas commercialisé en primeurs]

Second vin de Phélan Ségur, cet assemblage inédit de 80 % Merlot et 20 % de Cabernet Sauvignon, élevé sans bois neuf, montre de la finesse et de la gourmandise. Ses arômes de cerises, de myrtilles et de crème brûlée sont très avenants, avec une belle maturité de fruits. Belle matière, avec des tannins serrés et denses, équilibrés par de jolies notes d’agrumes.

Verticale 2020-2014

Phélan Ségur 2020    96

Nez intense avec des arômes de fraises, de mûres, de chaud-froid myrtilles-vanille, avec des notes de curcuma. Boisé bien intégré, pas démonstratif. Belle amplitude en bouche, avec des tannins très fins, caressants, ciselés. La matière est dense mais tout en dentelle, les tannins sont « cousus main », et les notes d’agrumes apportent une fraîcheur salvatrice. La finale est très persistante, sur des saveurs de chocolat amer, avec une mâche tannique délectable.

2019    92-93

Nez capiteux, avec des arômes de fruits très mûrs, de figue fraîche, de boîte de cigare et de mine de crayon. La structure montre une bonne densité, avec des tannins serrés, tapissant tout le palais. La finale est portée par une belle acidité, les tannins sont encore bien présents, on retrouve le chocolat amer. Encore dans sa prime jeunesse, il doit s’assagir et prendre de la bouteille.

2018    97-98

Voilà un tout grand vin ! Dans ce millésime très chaud, le Phélan Ségur fait montre d’une fraîcheur impressionnante, avec des arômes de framboises, de fraises, de fleurs de lys, agrémentées de notes de graphite et de cuir. Très complexe, fascinant, envoûtant ! En bouche, on a aussi une grande fraîcheur, avec une attaque dynamique, et des tannins soyeux, caressants. On savoure les tannins avec des notes de pomelo. Un vin d’une belle énergie, très harmonieux, déjà doté d’une grande buvabilité avec un grand potentiel. Un vin dangereux, car irrésistible...  

2017    92

Dans ce millésime marqué par un gel de printemps dévastateur, on trouve un nez plutôt discret, éthéré, avec quelques notes de fumée, de melon, et de tabac séché. Le toucher de bouche est tout en légèreté, avec des tannins discrets, pour une densité moyenne. La finale est crayeuse, savoureuse, de persistance moyenne, avec une belle fraîcheur, et des tannins au grain serré. Déjà prêt à boire, c’est un vin qui donnera de grands plaisirs à table, en attendant de laisser vieillir les autres millésimes.

 2016    92-94

Comme dit Véronique Dausse, le 2016 est en pleine crise d’adolescence, enfermé dans sa chambre, avec un casque sur les oreilles… Dans une phase de fermeture, il est presque muet. Le verre vide, on décèle quelques notes discrètes de violette et de mines de crayon. La bouche est très suave, avec une structure importante, des tannins très denses, monolithiques, donnant une certaine austérité en l’état. Il est toutefois parfaitement équilibré, avec une amertume salvatrice d’écorce d’orange qui donne une finale très fraîche. À attendre impérativement. Il fait la gueule, mais Véronique, qui l’a connu dans la flamboyance de son enfance, est convaincue qu’une fois adulte, il développera une personnalité unique.

2015    93

Nez généreux, intense, avec arômes très mûrs de cerises, de rose, de craie et de sureau. La bouche est suave, avec un beau volume, des tannins très enrobés. On retrouve la craie en finale, avec une persistance sur le cacao et des tannins veloutés. Un vin classique, droit et généreux, dans un millésime solaire. Gourmand et crayeux, charnu.

2014    92-93

Nez fermé, notes sanguines à l’aération, avec un peu de sous-bois. Bouche très souple, avec des tannins arrondis, délicats. La structure est très harmonieuse, sans esbrouffe, on croque les tannins avec délectation. Finale agréable sur les notes de cacao. « Un vin qui se mange plutôt qu’il ne se boit », selon Véronique Dausse.  

À mon humble avis, qui est aussi celui de la fameuse critique Jane Anson, si le classement de 1855 devait un jour être révisé, Phélan Ségur ferait sans aucun doute partie des crus classés. Et je ne dis pas ça parce que le surnom de Véronique quand elle était adolescente était… Divo !