Champagne Pierre Moncuit, une histoire de femmes
Nota bene : cet article est une entorse au thème de la revue, car le domaine ne travaille (presque) que du Chardonnay. Mais comme ce dernier est un enfant du Pinot Noir, on reste dans la famille !
La belle maison de maître des champagnes Pierre Moncuit se dévoile au centre du Mesnil-sur-Oger, au cœur de la Côte des Blancs, derrière un imposant portail. Pierre fonde, avec son épouse Odile Moncuit-Delos, la maison de champagne Pierre Moncuit en 1928 après avoir hérité des vignes de son père, plantées en 1889, date qui figure encore sur les étiquettes. La suite de Pierre est assurée par sa fille Nicole qui reprend le domaine en 1977. Elle s’occupe aussi bien de la vigne que de la cave et signe son premier millésime en 1982, un cas rare dans un monde très masculin, surtout dans ces années-là. Aujourd’hui, c’est sa fille, Valérie Charpentier, qui gère seule la maison familiale, toujours avec le soutien et l’expérience de Nicole, en retrait mais à l’écoute.
Des vignes bientôt centenaires
Au lieu-dit les Chétillons, les vignes ont presque cent ans, mais leurs ceps élancés ont l’air de défier le temps qui passe. Depuis quelques années, cette parcelle fait l’objet d’une sélection massale, soit le développement de jeunes vignes à partir de greffons des anciennes « afin de conserver leur précieuse diversité et identité », expliquent mère et fille.
La parcelle donne naissance au Champagne phare du domaine, la cuvée vieilles vignes, baptisée Nicole Moncuit. Valérie a préféré lui rendre hommage à elle, plutôt que de faire figurer le nom pourtant connu du lieu-dit sur l’étiquette. « Je veux mettre l’accent sur la dimension humaine, familiale », raconte-t-elle. Cette cuvée offre des notes de citron et pêche rôtie, de miel et cire d’abeille, de caramel, de fruits confits et nougat. En bouche, elle est onctueuse avec une mousse délicate, une profondeur et une complexité captivantes. Un vrai champagne de méditation.
Champagne suisse contre Champagne français ?
Le petit village de Champagne dans le canton de Vaud produit depuis toujours un blanc sec à base de Chasselas sur ses minuscules 28 hectares de vignes près du lac de Neuchâtel. Personne ne pourrait le confondre avec un champagne mousseux. Et pourtant, après des années de luttes juridico-politiques, le puissant Comité Interprofessionnel des Vins de Champagne (CIVC) a réussi depuis 2021 à interdire de faire figurer le nom de cette commune sur les étiquettes, décision validée par la justice suisse. En effet, les accords bilatéraux relatifs aux échanges de produits agricoles octroient une protection exclusive de la dénomination « Champagne » à la région française. Le Conseil d’Etat vaudois a bien essayé de porter la question devant le Tribunal fédéral, il a été débouté. Le recours de la commune de Champagne a subi le même sort. Pas de quoi sabrer le champagne pour les Champagnoux !
Certaines de ces merveilleuses notes tertiaires se retrouvent dans l’autre champagne millésimé du domaine, qui a lui aussi bénéficié d’un élevage sur lies conséquent. Il s’agit du 2012, dernier arrivé sur le marché. Il faut noter que le dégorgement est fait à la demande, et le dosage peut être adapté suivant l’évolution du vin. Tout comme la cuvée Nicole Moncuit, on jurerait qu’il a été barriqué. Pourtant, ce profil vient simplement de l’évolution du Chardonnay, et « ajouter encore un élevage sous bois sur les champagnes de la maison serait superflu », estime Nicole Moncuit. Profond, salin – aujourd’hui on dirait umamiesque – il accompagne sans problème les viandes rouges, ajoute-t-elle.
Une ode au Chardonnay
Le domaine Pierre Moncuit, c’est 20 hectares de vignes, ayant une moyenne d’âge de 50 ans, ce qui est rare pour la région, dont 15 hectares en Grand Cru, sur la Côte des Blancs autour du Mesnil-sur-Oger. Outre les deux millésimés, il faut mentionner la cuvée Pierre Moncuit-Delos et le Rosé. Pour ce dernier, la maison, qui ne possède que du Chardonnay, achète à un vigneron de confiance du Pinot Noir du Grand Cru de Bouzy. Mais pas question d’éclipser l’identité du Chardonnay, « le grand cépage de la région et notre spécialité », précise Valérie dont l’assemblage comporte environ 13 % de Pinot Noir en vin rouge tranquille. Résultat : toute la tension d’un Blanc de Blancs, avec des délicates nuances de fruits rouges.
Les cinq autres hectares du domaine se situent à Sézanne sur des sols argileux. La maison en tire le Hugues de Coulmet Brut, dosé à 7g/l, lui conférant un profil très accessible. Ici on apprécie les notes de citron, noisette fraîche, pêche blanche. Un Champagne qui plaira à toutes et tous, une cuvée 100 % plaisir.
Vers un domaine « Champagne Famille Moncuit » ?
Sous la belle maison de maître, les couloirs des caves voûtées sont emplis de bouteilles, qui remontent chronologiquement jusqu’à un siècle en arrière. Elles dorment, posées sur la tête, sous des toiles d’araignées lourdes de poussière. Un événement exceptionnel, une célébration familiale par exemple, les tire parfois de leur sommeil. Une partie des cuvées en cours d’élaboration, notamment le délicat Rosé, sont imbriquées dans les pupitres en bois qu’utilise encore le domaine pour le remuage manuel, deux fois par jour, car « l’humain fait mieux que la machine », assure Valérie.
De retour au soleil, la maîtresse du domaine révèle certains futurs projets qui soulignent sa volonté de promouvoir la dimension familiale de la maison. Elle parle de la création d’un Clos spécifique, propriété historique de la famille, dont la cuvée, réalisée sans fermentation malolactique, sera bientôt sur le marché, ou du possible changement de nom en « Champagne Famille Moncuit ». À quand une « Cuvée Valérie » ? L’intéressée esquisse un sourire : « je ne vais pas tout vous dévoiler maintenant… ».
