Basse-Franconie : Domaine Max Müller I, à Volkach
Nous arrivons à Volkach par une torride journée de juin, sur le coup de midi, avec beaucoup de retard. En raison de ses subtilités électroniques, la voiture louée à l’aéroport de Francfort nous a fait perdre du temps. Puis nous avons constaté que les autoroutes allemandes ne sont plus ce qu’elles étaient : tous les quelques kilomètres, des travaux ralentissent la fluidité du trafic. Rainer Müller et son fils Christian nous attendent avec un brin d’impatience dans la vinothèque de la maison de la propriété, une vénérable bâtisse de style baroque, édifiée en 1692 par les archevêques de Würzburg, au centre même de cette charmante bourgade. La salle qui sert à la réception des clients, à la dégustation et à la vente des produits témoigne d’un goût certain pour le style et l’aménagement. Elle a d’ailleurs obtenu en 2010 le prix « Wein Architektur » et résume à elle seule la philosophie qui prévaut sur tout le domaine Max Müller I, où l’ancien et le nouveau cohabitent avec harmonie.
Après un accueil cordial, nous nous rendons sans tarder sur le terrain, d’abord dans la célèbre vigne Escherndorfer Lump, où les Müller possèdent une parcelle qui repose sur un terroir de calcaire coquillier décomposé. La vigne plonge de manière vertigineuse vers le Main, cet affluent du Rhin qui coule en contrebas et dont les eaux forment à cet endroit une boucle, créant la plus vaste zone de méandres fluviaux de Bavière. Les roseaux, les peupliers et les vignes bordent les berges tandis que, dans le fond de la vallée, les champs et les vergers se succèdent en alternance. Ce paysage bucolique resplendit d’une fertilité paradisiaque.
Tel un rocher dressé au milieu de la pente, Christian Müller nous présente avec éloquence le domaine et les vignes, tandis que son père, comme une musique en toile de fond, nous verse deux verres d’un « bon vieux Lump », millésimes 2013 et 2015, un blanc vigoureux et épicé. Depuis quatre générations, les Müller exploitent ici 18 hectares de vignes, répartis dans trois endroits : l’Escherndorfer Lump, le Sommeracher Katzenkopf et le Volkacher Ratsherr. Avec 90 % de la surface plantée, le blanc se taille la part du lion. « Oui, chez nous le rouge est en recul ; nous laissons ça aux autres », déclare Christian Müller. Parmi les blancs, c’est le Silvaner, principal cépage de Franconie, qui mène le bal, avec 4 0% des parts, suivi par le Riesling, le Müller-Thurgau et le Scheurebe. Comme le jeune vigneron de 30 ans accompagne ses explications de gestes très démonstratifs, nous remarquons un tatouage sur son avant-bras gauche : « Main.Silvaner.Rockt ». Une profession de foi on ne peut plus claire : Christian Müller est un rocker qui vit pour le Silvaner, celui du Main. Il est dingue de ce cépage, à coup sûr le plus polyvalent sur sol allemand. Il donne matière tantôt à des vins gouleyants et faciles à boire, dans un registre simple, tantôt à des crus raffinés, dans le haut de gamme.

De toute la Franconie, le Escherndorfer Lump est l’une des vignes les plus exposées aux rayons du soleil. Lorsque les raisins sont récoltés au plus fort de leur maturité, ils donnent donc des vins qui entrent d’emblée dans la catégorie poids lourds, le plus souvent sur des arômes exotiques. Les Müller n’aiment pas trop l’opulence lorsqu’elle est excessive. Ils y font contrepoids en privilégiant une viticulture à haute densité et des vendanges pas trop tardives. « Nous aimons bien quand le vin affiche une petite note de lard fumé qui exprime toute la puissance de la montagne », commente Christian. En passant par le Volkacher Rathsherr et le Sommeracher Katzenkopf, où croît entre autres le Scheurebe, nous retournons pour le repas au domaine. Monika, l’épouse de Rainer, nous a préparé un riche buffet franconien : nous apprécions tout particulièrement la « blaue Zipfel », une savoureuse saucisse à rôtir, cuite dans un fond de vinaigre avec des oignons et des carottes. Son mari nous propose ensuite une dégustation de l’assortiment du domaine Müller.
Silvaner
Son nom viendrait du latin silva qui veut dire « forêt ». Comme le « y » n’existe pas en latin, l’orthographe correcte est donc Silvaner et non pas Sylvaner. On pensait alors qu’il avait été domestiqué directement à partir de la vigne sauvage sur les bords du Danube, voire même en Transylvanie, d’où son nom. Le test ADN a par la suite permis de réfuter une origine sauvage : le Silvaner est un croisement naturel entre le Savagnin (ou Traminer, appelé Heida ou Païen en Valais) et un vieux cépage rare d’Autriche, l’Österreichisch Weiss qui était autrefois utilisé dans la région de Vienne pour faire des vins mousseux et qui a aujourd’hui pratiquement disparu. Malgré son origine autrichienne, le Silvaner a été mentionné pour la première fois au sud de l’Allemagne en 1665 sous le nom « Östareiche Rebe » (« Raisin d’Autriche »), témoignant d’une diffusion ancienne de ce cépage.
En Suisse, le Silvaner est très majoritairement cultivé en Valais où il se nomme Johannisberg. En réalité, le nom de Johannisberg a désigné le Riesling jusque dans les années 1920, ce cépage ayant été rapporté de Moselle vers 1870 par Georges Masson à l’origine du fameux Domaine du Mont d’Or à Sion. En effet, dans le vignoble du Château de Johannisberg, le plus vieux domaine de Riesling au monde, on ne trouve pas trace de Silvaner ! Et dès 1928 le Johannisberg est devenu, à tort, le nom du Silvaner, malgré l’opposition véhémente du Dr Henry Wuilloud, ingénieur agronome et professeur à l’ETH de Zurich.
On peut d’ailleurs se demander pourquoi le Silvaner a perduré en Valais jusqu’à devenir aujourd’hui le deuxième plus important cépage blanc après le Chasselas, car c’est un cépage très sensible à la chlorose, avec des sarments cassant facilement sous les forts vents qui ne manquent pas dans le canton, très sensible au mildiou, à l’oïdium et à la pourriture grise, et peu résistant aux gels d’hiver et de printemps. Sur les terrains adéquats, comme par exemple le cône d’alluvions de Chamoson, les vins du Silvaner (ou Johannisberg) offrent une belle complexité des arômes de noisette et une acidité modérée.
— Dr José Vouillamoz
Nous commençons par la cuvée 2016 du Pinot Gris (Grauburgunder) et Pinot Blanc (Weissburgunder) de la ligne « Neues Franken », qui s’avère fruitée, rectiligne et tournée vers le plaisir. La ligne « Klassisches Franken », reconnaissable à sa bouteille ventrue, est représentée par un Scheurebe 2016 gourmand et aromatique, issu de la parcelle Sommeracher Katzenkopf. Puis nous passons à la ligne « Grosses Franken », les crus haut de gamme et de bonne garde, dans leur bouteille bourguignonne. Le grandiose Riesling R 2013 de la parcelle Escherndorfer Lump déploie un profil minéral, sur des arômes d’agrumes. Pour terminer, nous procédons à une petite dégustation verticale (une dégustation de plusieurs millésimes du même vin, ndlr) du Silvaner « Eigenart », issu du Lump. Les versions 2016, 2013 et 2011 nous offrent un vrai feu d’artifice. Il faut dire que l’Eigenart provient de ceps quadragénaires. Il s’agit d’un vin parfaitement sec, complexe, au nez d’abord un peu fermé, sur des notes légèrement boisées. En quelque sorte le vin qui a couronné la formation de Christian. Après des stages en Afrique du Sud (Blaauwklippen Wine Estate) et en Nouvelle-Zélande (Felton Road, dans le district de Central Otago), puis une formation en œnologie à l’Ecole de Geisenheim, Christian est en effet revenu au domaine en 2008 et a créé ce que son père considère comme son travail de fin d’apprentissage, un cru « à sa manière » (qui est l’exacte traduction de Eigenart) : macération avant pressurage, fermentation spontanée et élevage long sur lies en demi-muids (fûts de 600 litres) en chêne franconien. Ce cru unique en son genre a connu d’emblée un succès foudroyant, ce qui a convaincu le père de Christian d’accorder à son fils davantage de liberté. Müller senior est visiblement très fier de Müller junior : ils sont l’exemple même d’un passage réussi entre les générations.
Ma philosophie du vin peut paraître démodée
Au vu des discordes qui déchirent parfois les familles vigneronnes au moment du passage de témoin et prennent parfois des dimensions homériques, on ne peut que les féliciter. « Aujourd’hui, je ne fais plus que les vins de base pour mes clients, et Christian élabore les grands crus », explique Rainer Müller en toute modestie. Aboutissement provisoire de cette coopération harmonieuse entre père et fils, le domaine Müller a reçu du guide allemand Eichelmann, le plus important d’Allemagne, le prix de la meilleure collection de vins blancs 2017. « Ma philosophie du vin peut paraître démodée, car pour mes meilleurs crus j’applique des principes qui datent d’il y a soixante ou septante ans. En cave, j’impose au vin des durées de macération, ce qui lui donne une charpente et une structure. Les vins de garde effectuent une fermentation spontanée. Quant au pigeage, il se fait en douceur, sans pompage, uniquement par la force gravitationnelle. Je privilégie la fermentation longue et un entreposage assez étendu, sur levures », explique Christian Müller. Avant de nous quitter, nous ne pouvons pas nous empêcher de poser la question : pourquoi Max Müller I ? Que signifie ce chiffre étrange dans le nom du domaine ? C’est Rainer Müller qui apporte la réponse : « À l’époque de mon grand-père, il y avait deux exploitations au nom de Max Müller à Volkach. Pour les distinguer l’un de l’autre, les gens disaient « Max Müller un » et « Max Müller deux ». En l’honneur de mon grand-père qui, déjà à son époque, était très impliqué dans la viticulture, nous avons repris cette désignation pour en faire le nom officiel de notre entreprise.

Les conseils du domaine Max Müller I
Restaurants
Philipp à Sommerhausen
www.restaurant-philipp.de
Hinterhöfle à Volkach
www.hinterhoefle.de
Hôtel
Villa Sommerach à Sommerach
www.villa-sommerach.de
Scheurebe
Le Scheurebe est un croisement artificiel de Riesling avec une variété inconnue (qui n’est pas le Silvaner comme souvent supposé) obtenu en 1916 au centre de recherches d’Alzey dans le Rheinhessen en Allemagne, nommé d’après son obtenteur Georg Scheu (Rebe = cep en allemand).
Développé pour être planté sur les sols sablonneux de la Rheinhessen, ce cépage tardif et sensible à l’oïdium est cultivé à Genève et en Suisse allemande où il donne des vins secs ou doux avec une acidité naturellement élevée et des arômes de mûres et de cassis.
— Dr José Vouillamoz